– Pfff, oh là là, quelle galère, ces embouteillages !
– C’est juste un petit ralentissement.
– « Petit ralentissement », imite mon fiston, goguenard.
Se penchant vers la place du conducteur, que j’occupe, il s’informe :
– C’est sur 10 km/heure qu’elle est, l’aiguille du compteur ?
Pas de doute : l’héritier n’est pas un habitué du périph’ parisien aux heures de pointe.
– C’est trop énervant ! Je sais pas comment tu fais pour aller travailler tout le temps en voiture.
– Je ne suis pas « tout le temps » en voiture. Et cesse d’être désagréable.
Tiens, son humeur commence à déteindre, on dirait…
– D’ailleurs, maman, je voudrais bien savoir pourquoi tu as décidé qu’on y aille en voiture.
– Tu serais allé le chercher en rollers, ton nouveau matelas ?
– Meuh nan, mais en métro, quoi, c’est moins lourd.
– Moins lourd ?!
– Moins galère, quoi, je veux dire, tu sais bien.
Il est souvent grognon, comme ça, mon fiston, en ce moment, songe-je tout à coup. Ça doit être l’âge. L’adolescence. Depuis quelques jours – ou semaines, je ne sais plus – il voit tout le temps le mauvais côté des choses, le verre à moitié vide. Intervenons :
– Chéri, c’est toi qui m’as fait remarquer que ton matelas était tout abîmé, vrai ou pas ?
– Oui, oui, grinche-t-il.
– Et c’est pas moi qui dormirai mieux cette nuit, n’est-ce pas ? Et pourtant, moi aussi, je me farcis les embouteillages. Et est-ce que je me plains ?
– Toi, t’es parfaite, c’est ça ?!
« Et vous serez un ours très bien léché »
Hum. Mauvaise méthode. Changeons de cheval. Je respire un bon coup, rétrograde en seconde pour la dixième fois en trois minutes, puis :
– Bon, écoute. Ça ne roule pas bien. On va sûrement perdre une demi-heure sur le temps de trajet qu’on aurait pu prévoir. Mais en même temps… (là, fissa, je cherche comment combler le vide de ce §$%£€& de verre)… en même temps… chéri… eh ben… on est au chaud !
– Hein ?!, exhale-t-il, me considérant par en dessous d’un œil où la pitié le dispute à l’inquiétude.
– Ben oui, on a le chauffage. Tu te rends compte comme ce serait désagréable, les embouteillages, en novembre, sans le chauffage ?
Il faut que tu saches, bande de parents, que pendant quelques jours, récemment, on a dû s’équiper de bonnets et de moufles dans ma voiture, le système habituellement dévolu au chauffage s’étant mis à refuser obstinément de souffler autre chose que de l’air glacé.
– Chéri, il faut que tu apprennes à voir la vie du bon côté. Autrement, je t’assure, tu vas te la gâcher. Tu sais, c’est bête, mais je pense souvent à cette chanson de Baloo, dans le Livre de la jungle, que tu regardais tout le temps quand tu étais petit : « Il en faut peu pour être heureux », tu sais, et puis après il dit « Prenez la vie du bon côté et vous serez un ours très bien léché »…
Je sais, bande de parents, il y a plus prestigieux, comme maître à penser. Les derniers mots, je les avais tout de même ajoutés dans le fol espoir de le voir sourire.
– Ah ? Et là, le bon côté, c’est quoi ? Que le chauffage est réparé ?
– Pourquoi pas ? Et que ce soir, tu dormiras sur un bon matelas tout neuf. Je t’assure, chéri, râle moins, tu vivras mieux. »
Comme il ne répondait pas, j’ai décidé de penser (verre à moitié plein) qu’il était en train de se pénétrer des sages conseils de sa mère et de l’ours Baloo réunis.
Malheureusement, environ neuf minutes plus tard, à la sortie du périphérique (ouf, rouler, enfin !), ma voiture s’est trouvée bloquée derrière celle d’un lambin, un hésitant, un qui met son clignotant à gauche et puis qui tourne à droite après moult hésitations, non sans avoir laissé filer deux feux verts dans l’intervalle.
– P%&# de m%&#, regarde-moi ce crétin d’abruti de chauffeur du dimanche ! (version expurgée)
– « Il en faut peu pour être heureux, hein, maman ? », s’est empressé de rigoler l’ado en tournant vers moi un sourire gigantesque.
Bon, l’avantage (verre à moitié plein) c’est que, pour la première fois depuis une heure, lui, au moins, il a l’air heureux. Quelques secondes plus tard, un second avantage est même apparu : je me suis mise à rire aussi (verre entièrement plein ?), aux larmes, on riait tous les deux, j’ai même dû laisser passer un feu vert ou deux.
Allez, salut, bande de parents !
© Muriel Gilbert
Ils ne se gênent pas pour nous renvoyer nos « leçons de vie », nos ados !! (te parfois, c’est pas plus mal, effectivement)
Tu sais quoi ? Grâce à toi, j’ai moins peur de l’adolescence de mes enfants !
@ Béatrice : Ils nous « apprennent la vie » au moins autant que nous la leur apprenons, hein ?
@ Anna : Moi aussi, j’avais très peur avant ! C’est vrai que c’est plus dur, plus exigeant de gérer un ado qu’un tout-petit. D’un autre côté, ils font plus dans leur culotte et ils te laissent dormir la nuit, ça te laisse de l’énergie pour leurs autres inventions 😉
Brendon râle aussi beaucoup en voiture.
Je vais lui parler du verre toussa…
Si c’est le matelas sur lequel je couche, alors ça vaut le coup car, au lever, aucune courbature à signler!
ahah! pas mal ça et puis le retournement de situation à la fin, c’est magique!
…
« il en faut peu pour être heureux vraiment très peu pour être heureux, il faut se satisfaire du nécessaiiiiire… »
Sinon, il reste la possibilité de rester au chaud sans se coltiner les bouchons en se faisant livrer ledit matelas !
Ben moi aussi ça m’a fait sourire ton chapelet d’insultes, « fait ce que je dis mais pas ce que je fais », on est toutes comme ça lol mais heureusement sinon, nous serions parfaites ….mais quel ennui !
Baloo est un sage !! Je vais tenter ta méthode sur mon « grand » qui est un condensé de ralerie sur patte !!
@ Brenda : Et Baloo. Parle-lui de Baloo, surtout.
@ Gilbert : Oooh non, c’est un matelas qui est devenu bieeeen vieux depuis !
@ Mère pas parfaite : Pour ton bonheur, et celui de pas mal d’autres, j’ai intégré la chanson de Baloo à la fin de la chronique. Régale-toi !
@ Lydie : Pourquoi tu me l’as pas dit avant ? 😉
@ Clarabelle : Ah ? On s’ennuierait si on était parfaites ? Mais oui, ouf, tu as raison.
@ Poulette : Passe-lui la vidéo que je viens de coller en bas de cette chronique. Ca va le transformer.
des petites perles mères-fils…
Au fait, il est pas amoureux malheureux en ce moment ???
@ Dominimes : Ah tiens, j’y avais pas pensé à ça. Tu serais pas une fille, toi ? Genre pourvue d’intuition ?
@ Muriel : si je te l’avais dit avant, cela nous aurait privé d’un billet ici !
la bande de parents Cafards a bien ri et a bien connu ce genre de soucis d’ados boudeurs. Une tranche de vie parfaitement narrée !
@ Lydie : C’est vrai ! En fait, t’as remarqué ?, tous mes billets me sont inspirés par des mauvais moments, de petites galères… et puis le vent tourne…
@ Les cafards : Merci mes insectes. Je savais pas que les cafards élevaient leurs petits jusqu’à l’adolescence 🙂